Biographie de Louis-Gabriel Arnoux
par Charles-Ange Laisant (1841-1920), polytechnicien, député, mathématicien, fondateur et directeur de revues mathématiques
parue dans L'Enseignement Mathématique (dirigé par C.-A. Laisant et H. Fehr), Vol XV (1913), pages 337-339
(voir aussi cette autre biographie d'Arnoux)


Gabriel Arnoux (Les Mées, Alpes-de-Haute-Provence, 1831 - Monaco 1913)

Trop tard pour avoir pu l'annoncer, nous avons appris la mort de Gabriel Arnoux, décédé à Monaco le 3 avril dernier.

Il était né aux Mées (Basses-Alpes) le 23 mars 1831. Admis en 1846 à l'Ecole Navale, il abandonna la carrière maritime en 1858 pour raisons de santé ; il était alors enseigne de vaisseau.

Il se retira dès lors dans son pays natal, où il est resté presque jusqu'à sa mort, s'occupant de travaux sur les vers à soie, d'opérations de colmatage, puis consacrant ses loisirs à des recherches mathématiques, publiées sous forme de Notes ou de Mémoires dans les Comptes rendus de la Société scientifique des Basses-Alpes, et surtout ceux de l'Association française pour l'Avancement des Sciences.

Mais son œuvre principale, publiée sous le titre général : Essais de psychologie et de métaphysique positives ; arithmétique graphique, se compose de quatre volumes, publiés à d'assez longs intervalles :

Nous ne saurions tenter ici une analyse, même sommaire, de ces ouvrages. Nous pouvons dire seulement qu'on y trouve, peut-être pour la première fois, surtout dans le premier, des considérations vraiment scientifiques sur les questions de magie arithmétique.

La puissance d'invention d'Arnoux était prodigieuse ; mais il lui fallait pour ainsi dire concrétiser les objets de ses recherches pour en saisir les rapports. Il mettait une sorte de coquetterie à se déclarer exclusivement visuel et à proclamer son incapacité à comprendre le langage algébrique, pour lequel, disait-il, il éprouvait une sorte de phobie.

Des études de sa jeunesse, il avait conservé une admiration pour la géométrie. Cela ne l'empêchait pas de montrer à l'occasion, même en algèbre, une grande finesse et une grande acuité de vue, dont j'ai souvent pu faire la constatation.

En dehors des sciences mathématiques, et au-dessus d'elles dans son esprit, il s'était passionnément adonné à des recherches philosophiques, et avait accumulé un nombre formidable de notes, de réflexions, de citations ; il serait bien à désirer que d'aussi précieux documents ne fussent pas perdus après sa mort.

Le terme de Métaphysique positive représentait à ses yeux une science des raisonnements, s'appuyant sur l'observation et l'expérience, mais pouvant s'appliquer ensuite à toutes les recherches dont est capable l'humanité. A prendre les mots dans leur sens habituel, c'était une métaphysique-antimétaphysique.

En somme, il est à peu près impossible de rencontrer un esprit doué d'une plus grande originalité, plus inventif que ne le fut l'esprit d'Arnoux. Mais il se sentait, à cause de son éloignement de l'analyse mathématique, en mauvaise situation pour présenter une exposition de ses idées ; et c'est ce qui le détermina à demander le concours de collaborateurs, auxquels il a rendu un hommage excessif dans ses préfaces, s'effaçant presque lui-même avec une modestie trop grande, et bien rare.

Il nous est permis d'ajouter ici que la valeur morale de l'homme fut au moins égale à sa valeur intellectuelle. Bon et confiant, sa confiance et sa bonté furent souvent bien mal récompensées. Sa haute probité scrupuleuse, dans certaines circonstances, ne fut pas payée de retour ; et plus d'une fois, ce que j'ai appris à ce sujet évoqua chez moi le souvenir de L'Ennemi du peuple, ce chef-d'œuvre d'Ibsen.

Dans ces dernières années, atteint par de cruelles infirmités, il quitta son village natal des Mées pour aller s'établir à Monaco, où il pouvait recevoir des soins plus assidus, que son état de santé exigeait impérieusement. Sa puissance de travail s'en trouva diminuée, mais non sa belle intelligence ni sa bonté, dont je trouve encore les marques dans la dernière lettre que j'ai reçue de lui à la fin de décembre 1912.

En résumé, celui qui vient de nous être enlevé n'eut pas une grande notoriété de son vivant parmi les mathématiciens. Cela n'empêche pas que sa mémoire doit être pieusement conservée, et que parmi les jeunes, plus d'un pourra trouver profit à étudier ses oeuvres, en essayant de creuser plus profondément les sillons qu'il a tracés.

C.-A. Laisant.


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